Don Juan, nymphomane... Homme ou femme, la multiplication des conquêtes n'est pas perçue de la même manière. Et ces stéréotypes genrés autour du libéralisme sexuel nous conduisent à mentir, quel que soit notre sexe, sur le nombre de partenaires au cours d'une vie. Explications scientifiques de notre chroniqueuse Peggy Sastre, auteur de "No Sex" et "Ex Utero".
Le nombre de partenaires sexuels que l'on avoue varie suivant le sexe, mais hommes et femmes mentent (R.WAACK/FLICKR/CC)
Une des questions qui revient le plus souvent en matière d'études scientifiques sur les comportements sexuels des humains est : dans quelle mesure peut-on faire confiance à leurs sujets d'étude ? Après tout, rien ne dit qu'une fois devant son questionnaire, monsieur ou madame le cobaye dira la vérité à monsieur ou madame le chercheur – une réalité démultipliée par la spécificité culturelle du sexe, vecteur de toute une palanquée de notions socialement très significatives (dans le sens grave) pour une très grande majorité d'individus.
En d'autres termes, on ne balance pas "comme ça" les détails de sa sexualité à des inconnus, même dans la froideur et l'objectivité des laboratoires : on pense d'abord à ce pour qui (ou pour quoi) on risque de passer. Et cette "désirabilité sociale" (surprise) n'est pas en général la même selon que vous soyez un homme ou une femme.
L'autre question est donc : se pourrait-il que ce que nous pensons savoir sur les différences sexo-comportementales entre les hommes et les femmes soit d'abord lié à la manière dont chaque sexe est disposé à se dépeindre, notamment vis-à-vis d'attentes et de représentations sociales distinctes ? C'est une possibilité que poursuit depuis maintenant plusieurs années la psychologue américaine Terri D. Fisher.
Homme, femme et nombre de partenaires sexuels qui diffère
En 2003, elle s'était ainsi attelée à décrypter l'un des plus gros points noirs des études sur la sexualité : le fait que les hommes et les femmes ne déclarent pas, en moyenne, le même nombre de partenaires sexuels. Une des plus énormes impossibilités statistiques du genre.
De fait, dans quasiment toutes les enquêtes sur les comportements sexuels humains – que ce soient les historiques, à l'instar de Hite, Kinsey et Masters & Jonhson, ou de plus récentes, des sondages à grande échelle aux enquêtes épidémiologiques visant à modéliser la transmission des maladies sexuellement transmissibles –, les hommes rapportent plus de partenaires que les femmes. Assez typiquement, les réponses varient de 5 à 9 partenaires masculins et 8 à 14 partenaires féminins chez les personnes de 40 ans et plus.
Pourtant, il est statistiquement impossible que le nombre moyen des partenaires diffère d'un sexe à l'autre. La dispersion du résultat au sein de chaque sexe peut certes être différente – par exemple, une proportion plus ou moins grande dans chaque sexe d'individus ayant un très petit ou un très grand nombre de partenaires –, mais, quelle que soit cette dispersion au sein des populations féminine et masculine, la moyenne devrait être la même. Et elle ne l'est pas. Pourquoi ?
Une explication parfois avancée pour expliquer cette anomalie statistique est le mauvais échantillonnage des enquêtes. Les prostituées, par exemple, ont un très grand nombre de rapports sexuels et leur non-présence dans l'échantillon peut abaisser la moyenne féminine. Mais l'inégalité demeure lorsque l'on demande aux sujets de ne pas inclure les rapports avec ces prostituées.
Une autre explication concerne la mémorisation de ses partenaires : les hommes interrogés seraient portés à donner rapidement des estimations assez approximatives (et exagérées), alors que les femmes auraient tendance à comptabiliser avec précision les souvenirs de chaque partenaire. Idem avec des explications plus psychologisantes : les hommes comptabiliseraient absolument tous leurs rapports sexuels, les femmes seuls ceux qui ont a minima compté sentimentalement dans leur vie.
Mais, quoi qu'il en soit, cela n'explique pas suffisamment l'écart entre les deux moyennes.
Implication sociale d'une sexualité débridée plus ou moins valorisée
Avec sa collègue Michele G. Alexander, Fisher avait donc décidé de faire remplir un questionnaire à 200 étudiants âgés de 18 à 25 ans, dans des conditions un peu particulières. Un premier groupe devait le faire de manière anonyme ; le second savait que ses réponses pouvaient être lues par l'examinateur ; le troisième répondait aux mêmes questions… en croyant être branché à un détecteur de mensonges.
Résultat : quelle que soit la méthode, les résultats des hommes ne variaient guère, en se situant entre 3,7 et 4 partenaires. Les résultats des femmes, par contre, étaient très différents. Celles qui remplissaient de manière anonyme confessaient 3,4 partenaires en moyenne. Celles dont les réponses étaient lues par les examinateurs 2,6 seulement. Et ce chiffre grimpait à 4,4 lorsque les étudiantes craignaient le verdict du détecteur de mensonges. Quasiment du simple au double...
Selon cette étude, ce sont les femmes qui tendraient à minimiser leur nombre réel de partenaires sexuels ; l'implication sociale d'une sexualité risquant de passer pour débridée étant plus grande chez elles que chez les hommes, où elle est au contraire plutôt valorisée.
"Nous vivons dans une culture qui attend réellement une attitude différente de la part de chaque sexe", soulignait T. D. Fisher. Cette année, dans une étude qui reprend les mêmes fondements méthodiques que celle de 2003, elle enfonce le clou :
"Il se pourrait que la sexualité soit simplement un type spécifique de comportement jugé plus négativement quand ce sont les femmes qui s'y adonnent."
On ne saurait être plus claire...
Sexualité, détecteur de mensonge et idéologie hypergenrée
Dans cette nouvelle étude, 293 étudiants américains en psychologie âgés de 18 à 25 ans devaient remplir un questionnaire portant sur 124 comportements, sexuels ou non. Auparavant, les comportements non sexuels avaient été classés par d'autres étudiants selon leur degré de masculinité (par exemple : porter des vêtements sales, faire des blagues de cul) ou de féminité (mentir sur son poids, écrire de la poésie), mais aussi selon leur degré de négativité par rapport à tel ou tel sexe (par exemple, chanter sous la douche ou adopter les vêtements du sexe opposé était jugé plus négativement chez un homme ; tricher à un examen ou se moquer d'autrui était considéré plus dévalorisant chez une femme, etc.).
Résultat : avec ou sans détecteur de mensonge et quand ils étaient interrogés sur des comportements non sexuels, les deux sexes se conformaient de la même manière à leurs propres stéréotypes. En matière de comportements sexuels, par contre, le regard social ou l'"idéologie hypergenrée", selon la chercheuse, agissait à plein régime : les hommes déclaraient ainsi beaucoup plus de partenaires sexuels quand ils n'étaient pas branchés au détecteur de mensonges et inversement chez les femmes, qui minimisaient le nombre de leurs expériences quand la pression de l'honnêteté leur semblait moins forte.
Aujourd'hui, les deux sexes semblent mentir à part égales, les deux pour se faire bien voir, mais pas de la même façon. Un homme ayant beaucoup de conquêtes semble encore une denrée valorisée. Inversement chez les femmes, où la réserve sexuelle est encore relativement appréciée – ou jugée comme telle.
Je dis "relativement", car, l'une des surprises de cette nouvelle étude, c'est que les femmes sont passées devant les hommes en matière de partenaires déclarés. Même si, sans détecteur de mensonges, elles en rapportent moins qu'avec, au total, le chiffre surpasse celui de leur congénères masculins. Faut-il y voir la trace d'une évolution des mœurs ? Certainement, pour Terri D. Fisher :
"La société a changé, même en dix ans, et bon nombre de chercheurs ont observé que certaines différences entre hommes et femmes et dans certains domaines du comportement sexuel ont globalement disparu."
Reste qu'il y a toujours "quelque chose de spécifique au comportement sexuel eu égard à une disposition différente entre hommes et femmes à révéler leurs comportements, sauf s'il y a une contrainte à l'honnêteté". Et si le défi pour les dix prochaines années était, justement, que la sexualité cesse d'être "quelque chose de spécifique" et de si socialement impliquant, pour les hommes, les femmes et pour tout le monde ?
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