Trois études parues simultanément mettent en avant le rôle bénéfique de l’aspirine dans la lutte contre le cancer : diminution des risques de développer la maladie, de présenter des métastaseset d’en mourir. Alors devrions-nous consommer des microdoses d’aspirine tous les jours ? Les experts sont réservés.
Un mal de tête ? Un peu de fièvre ? Vite, un cachet d’aspirine. Ce médicament si banal pourrait, en plus d’atténuer les céphalées et faire retomber la température, lutter conter le cancer en limitant son occurrence, en diminuant les risques de présenter des métastases et la mortalité des tumeurs.
C’est ce que viennent d’affirmer trois études menées par des chercheurs de l’université d’Oxford, parues dans The Lancet (pour deux d’entre elles) et dans The Lancet Oncology.
Ces scientifiques n’en sont pas à leur coup d’essai, puisqu’ils avaient déjà montré en 2007 que l’aspirine absorbée quotidiennement pendant dix ans diminuait les risques d'apparition de cancers colorectaux, tandis qu'en 2010 ils révélaient qu'elle permettait une réduction globale de la mortalité par cancer.
L’aspirine, une arme anticancer
Un premier travail a repris les données émanant de travaux concernant l’effet d’une consommation quotidienne d’aspirine sur les événements cardiaques. La mortalité par cancer y figurait également. Ainsi, la survie des consommateurs réguliers d’acide acétylsalicylique (principe actif de l’aspirine) a été comparée à celle des témoins.
L’analyse de 77.549 patients issus de 51 essais cliniques a montré que l’aspirine diminuait les risques de mortalité par cancer de 26 %, et que ce chiffre s’élevait à 37 % lorsque le traitement était maintenu pendant cinq ans. Dans un second temps, en épluchant les résultats de 35.535 autres participants, les chercheurs en sont parvenus à la conclusion que le célèbre médicament abaissait de 23 % chez les hommes et de 25 % chez les femmes les probabilités de survenue d’un cancer après trois ans de consommation quotidienne.
L'aspirine pourrait agir en prévention des cancers (comme contre ces cellules du cancer du pancréas), limiter l'apparition de métastases et diminuer la mortalité des tumeurs. Les mécanismes d'action de la substance médicamenteuse n'ont cependant pas été décrits. © Wellcome Images, Flickr, cc by nc nd 2.0
Dans une deuxième étude, il s’agit de se focaliser sur 17.285 personnes ayant participé à 5 essais randomisés sur la prévention des accidents cardiovasculaires, suivis en moyenne pendant plus de six ans. L'intérêt particuler était ici d'évaluer le lien entre les 75 mg d’aspirine avalés chaque jour et le développement de métastases dans les cancers. D’une manière générale, les risques que les tumeurs colonisent d’autres organes sont inférieurs de 36 % chez les personnes traitées avec le médicament.
La troisième étude s’intéresse quant à elle à l’apparition de cancer chez les utilisateurs d’acide acétylsalicylique. Une confirmation pour les chercheurs de leurs travaux précédents, puisqu’il y est établi que les risques de développer un cancer colorectal sont abaissés d’environ 40 %, et qu’il en est approximativement de même pour les tumeurs œsophagiennes, stomacales, biliaires ou mammaires.
La communauté scientifique convaincue… ou presque
Ces résultats ne suscitent pas une ferveur totale de la communauté scientifique. Si certains s’en réjouissent, d’autres les reçoivent avec bien plus de modération. Certains rappellent que les études sur lesquelles ils se sont basés ont été réalisées par des cardiologues, et non des cancérologues, qui n’ont peut-être pas toujours retenus les critères les plus pertinents ni mené toutes les investigations de la meilleure façon.
Dans un article, toujours publié dans la même édition de The Lancet, qui vient en commentaire de ces résultats, Andrew Chan et Nancy Cook, chercheurs à Harvard, s’étonnent que ces scientifiques n’aient pas inclus dans leurs travaux deux études menées aux États-Unis, publiées en 1998 et2005, qui ne montraient aucun effet de l’aspirine sur la prévention du cancer. Ce qui ne les empêche pas, malgré tout, de reconnaître la pertinence globale des résultats.
Dans une assemblée d'experts aux États-Unis, 60 % ont reconnu absorber leur dose quotidienne d'aspirine. En Grande-Bretagne, cette même question n'a recueilli que 5 % des suffrages affirmatifs. Lequel de ces deux pays a raison ? © Phovoir
Qu’attendons-nous pour nous gaver d’aspirine ?
Alors devons-nous pour autant nous jeter sur les plaquettes d’aspirine ? Méfiance ! Premièrement, l’acide acétylsalicylique n’est pas complètement dénué d’effets secondaires. Une étude parue en début d'année dans lesArchives of Internal Medicine indiquait qu’une faible consommation quotidienne du médicament présentait davantage de risques pour la santé que de bénéfices. Chez les 100.000 participants, on constatait certes une diminution de 10 % de l’apparition de maladies cardiovasculaires, mais aucune baisse significative de la mortalité et même, en contrepartie, 30 % de risques en plus de présenter des saignements internes.
D’autre part, la dose utilisée dans ces études est faible, inférieure à celle contenue dans les cachets vendus en pharmacie. Rien n’indique qu’absorber une quantité supérieure aura davantage de répercussions bénéfiques sur la santé, en revanche tout porte à croire que cela augmentera les effets secondaires nocifs que le médicament peut engendrer, notamment concernant les maux d’estomac, mais aussi des saignements au niveau de l’estomac, des intestins et du cerveau.
Si les bénéfices de l’aspirine sur les maladies cardiovasculaires sont avérés, puisque le médicament fluidifie le sang, les médecins sont beaucoup plus réticents à délivrer à leurs patients sains les pilules aux propriétés miraculeuses. Sans compter que la molécule est contrindiquée dans certaines conditions, comme l’hémophilie ou dans le cas d’une allergie à certains anti-inflammatoires non stéroïdiens (Ibuprofène par exemple). La prudence est donc encore de mise…