samedi 5 janvier 2013

Notre mémoire à long terme est-elle plus complexe que prévu ?

Depuis quelques années, on pensait que notre mémoire à long terme ne dépendait que d’une seule molécule : la PKMzeta. Cependant, deux études américaines indépendantes viennent de montrer que même sans elle, des souris n’avaient aucun problème pour se souvenir de tout. Si notre mémoire est sûrement moins fragile qu’on le pensait, elle est aussi plus complexe…
 
Tout commence en 2007. Todd Sacktor, brillant chercheur au SUNY Downstate Medical Center de New York parvient, avec son équipe, à effacer des souvenirs d’odeurs désagréables chez des rats. Ces scientifiques avaient effectivement remarqué qu’une enzyme, nommée PKMzeta (protéine kinase M-zeta) semblait jouer un rôle clé dans les processus de mémorisation à long terme. En injectant son inhibiteur, la protéine ZIP, les mauvais souvenirs avaient disparu.
D’autres ont réitéré la manipulation chez différents modèles animaux, avec succès. En 2011, Todd Sacktor a même réalisé l’inverse : cette fois, il a injecté des virus porteurs du gène de la PKMzeta pour que ses rongeurs la produisent en excès. À la fin de l’expérience, la mémoire des goûts déplaisants des rats était renforcée.
Cette enzyme joue donc un rôle central dans la mémoire, puisqu’en l’inhibant spécifiquement, tous les souvenirs disparaissent alors qu’en l’activant, de nouveaux souvenirs se forment plus intensément. La mémorisation repose donc sur un modèle simple mais fragile, puisque sous la dépendance d’une seule et unique molécule…
La mémoire passe par les neurones, et obligatoirement par les connexions qui les réunissent : les synapses. Seulement, même chez les souris qui n'expriment pas la PKMzeta, les synapses ne présentent aucun signe d'altération...
La mémoire passe par les neurones, et obligatoirement par les connexions qui les réunissent : les synapses. Seulement, même chez les souris qui n'expriment pas la PKMzeta, les synapses ne présentent aucun signe d'altération... © Emily Evans, Wellcome Images, Flickr, cc by nc nd 2.0
La PKMzeta tombe de son piédestal
Cependant, le rôle précis de la PKMzeta reste inconnu. Deux laboratoires américains ont décidé, chacun de leur côté, d’en découvrir un peu plus sur cette enzyme cruciale. Richard Huganir, de la John Hopkins University de Baltimore, et Robert Messing, de l’université de Californie à San Francisco (UCSF), ont tous deux entrepris de développer des lignées de souris génétiquement modifiées pour ne pas exprimer la PKMzeta. Ainsi, l’objectif était de voir à quel niveau la protéine intervenait en observant les défauts d’apprentissage et de mémorisation des souris. Les travaux sont publiés dans la même édition de la revue Nature.
Les résultats obtenus n’étaient pas du tout ceux attendus par les scientifiques. Sur la côte est, Richard Huganir et son équipe se sont focalisés sur les cerveaux de leurs cobayes. La mémoire à long terme se caractérisant par le renforcement des liaisons entre neurones (ou synapses), ils s’attendaient à observer de profondes lacunes. Que nenni ! Ils n’ont observé aucune différence avec les cerveaux des souris normales.
Sur la côte ouest, Robert Messing et ses collègues ont préféré observer la mémoire par l’expression des comportements. Leurs rongeurs ne manifestaient aucun problème pour se souvenir de peurs persistantes, des objets, des lieux et même des mouvements à suivre lors d’une batterie de tests comportementaux. Ces animaux avaient toute leur tête malgré l’absence de PKMzeta.
Les souris génétiquement conçues pour ne pas synthétiser de PKMzeta n'en perdent pas pour autant la mémoire. Mettez-les dans un labyrinthe qu'elles connaissent déjà et elles retrouvent la sortie très vite !
Les souris génétiquement conçues pour ne pas synthétiser de PKMzeta n'en perdent pas pour autant la mémoire. Mettez-les dans un labyrinthe qu'elles connaissent déjà et elles retrouvent la sortie très vite ! ©
Mise en place d’un phénomène compensatoire pour la mémoire ?
Dans les deux expériences, les souris ont eu droit à une injection de ZIP, cet inhibiteur de l’enzyme qui, rappelons-le, est absente. Pourtant, c’est seulement à ce moment que les souris ont commencé à perdre la mémoire. ZIP efface toujours les souvenirs malgré l’absence de sa cible.
Est-ce le signe que PKMzeta n’est d’aucune utilité dans la mémoire ? Pas forcément, répondent les scientifiques. Il a régulièrement été observé des mécanismes de compensation : quand un gène important disparaît, un autre, apparenté, peut prendre le relais. C’est un peu comme une personne non-voyante qui exacerbe l’utilisation de ses autres sens afin de pallier sa cécité. Une cousine comme la PKMlambda aurait-elle assumé ce rôle ?
La mémoire à long terme, pas aussi simple que prévu
Richard Huganir et ses collègues ont mis au point une nouvelle expérience pour déterminer l’importance relative de la PKMzeta. Cette fois, ils disposaient de rongeurs chez qui l’enzyme s’inactivait à l’injection d’un médicament. Les scientifiques ont laissé les souris grandir jusqu'à l'âge adulte et assimiler des souvenirs. Puis ils ont éteint la protéine. Là encore, ils sont retournés regarder dans le cerveau : tout était normal. Et pourtant, dans ce cas, l'organisme n'a pas eu besoin de mettre en œuvre des mécanismes compensatoires...
De tels résultats compliquent la donne. Les neurobiologistes pensaient détenir une explication simple et logique aux processus de mémorisation, mais la réalité semble plus complexe. Si la PKMzeta intervient probablement à un niveau ou un autre, d’autres voies sont nécessaires à l’établissement des souvenirs. Lesquelles ? Cela reste encore un mystère, qu’il ne sera pas simple de résoudre.

L’apprentissage de la langue se fait déjà chez les foetus !

Les bébés ne parlent qu’aux alentours de deux ans, mais leur apprentissage commence bien plus tôt : dès qu’ils ont des oreilles qui fonctionnent. Ainsi, dès la 30e semaine de gestation, les fœtus sont déjà attentifs à la voix de leur mère et sont capables, à la naissance, de différencier des voyelles de leur langue natale de celles d’une langue étrangère.
 
Il n’y a pas d’âge pour apprendre. Et si l’on ne sera jamais trop vieux pour en découvrir davantage sur notre monde, on ne sera aussi jamais trop jeune. La preuve avec cette étude américano-suédoise parue dans Acta Paediatrica révélant que les fœtus se familiarisent avec leur langue maternelle alors même qu’ils baignent encore dans l’utérus de leur mère.
De précédentes recherches avaient montré que les bébés étaient très forts pour discriminer des syllabes d’un langage familier de celles d’une langue inconnue dans les premiers mois de la vie. Mieux : à six mois déjà, ils comprennent le sens de certains mots qu’on leur adresse. L’acquisition de toutes les règles de la communication est pourtant extrêmement complexe, mais les nourrissons sont dotés dès la naissance d’un très grand pouvoir d’apprentissage.
Tout commencerait plus tôt encore. Aux alentours de la 30e semaine de gestation, le système auditif devient fonctionnel : les sons entrent par l’oreille et sont interprétés dans le cerveau. Le fœtus commence à entendre les sons environnants, y compris ceux de sa mère lorsqu’elle parle durant les dix dernières semaines avant l’accouchement. Et le fœtus semble les utiliser pour se familiariser avec le monde extérieur.
Bien que l'anglais soit très parlé en Suède, la langue scandinave se cantonne à la seule Europe du Nord. Pourtant, les bébés suédois comme les américains sucent davantage leur tétine à l'écoute de sons voyelles étrangers, preuve qu'ils ont commencé à apprendre à discriminer leur langue des autres dans le ventre de leur mère.
Bien qu’en Suède, l'anglais soit très parlé, le suédois se cantonne à la seule Europe du Nord. Pourtant, les bébés suédois comme américains sucent davantage leur tétine à l'écoute de voyelles étrangères, preuve qu'ils ont commencé à apprendre à différencier leur langue des autres dans le ventre de leur mère. ©
La tétine ne ment jamais
Des scientifiques des universités de Washington et de Tacoma ont mené une expérience similaire en parallèle avec un chercheur du Karolinska Institutet de Stockholm. Dans chaque pays, 40 enfants étaient recrutés dans la pouponnière dans les heures suivant leur naissance (entre 7 et 75 h).
Étaient alors diffusés des voyelles quasi identiques émises par des Suédois ou des Américains. Les deux langues, bien que d’origine germanique, présentent des divergences qui s’entendent à la diction pour les oreilles exercées. Les nourrissons avaient en bouche une tétine qu’ils suçaient à loisir, reliée à un ordinateur qui déterminait les mouvements et les durées de succion.
En effet, ce comportement bien anodin chez le nourrisson révèle pourtant les appétences du petit. De plus, si dans les deux situations, les nouveau-nés réagissent de manière différente, c’est bien la preuve qu’ils ont été sensible à une prononciation plutôt qu’à une autre et donc qu’il y a des signes d’apprentissage.
Des bébés plus que précoces qui apprennent à parler
Aussi bien en Suède qu’aux États-Unis, les bébés sucent davantage leur tétine à l’écoute de voyelles qui leurs sont étrangères, tandis qu’ils manifestent plus de calme pour des sons émis dans leur langue maternelle. Les auteurs y voient donc le signe d’une discrimination entre des sonorités nouvelles et d’autres déjà entendues.
Les fœtus ont donc commencé leur apprentissage qui durera toute leur vie. Cependant, le cerveau n’est jamais aussi enclin à apprendre que dans les premiers temps de la vie, jouissant alors d’une plasticité inégalée. Les scientifiques essaient donc de décrypter les secrets sous-jacents à ce pouvoir enfantin pour peut-être, un jour, tenter de le transposer chez les adultes.

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