Ejaculation féminine : ce n'est pas un phénomène de foire mais les études sont rares

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L'éjaculation féminine est-elle encore taboue ? Bien qu'elle soit aujourd'hui universelle, elle reste un mystère pour un bon nombre de femmes et de spécialistes. Pour Peggy Sastre, cela s'explique surtout par le manque d'études sérieuses sur le sujet. Notre chroniqueuse s'est attardée sur celle du gynécologue Zlatko Pastor, qui montre à quel point le décryptage de ce phénomène peut s'avérer compliqué. 


 (Crédit photo : _LYNNN/FLICKR cc)
(Crédit photo : _LYNNN/FLICKR cc)

Non, l'éjaculation féminine n'a rien d'un mythe. Le phénomène est même documenté depuis plus de 2000 ans aux quatre coins de la planète. Est-il pour autant courant, voire universel et accessible avec un chouïa de préparation technique comme certaines spécialistes de la question le prétendent ? On peut très légitimement en douter.

Le problème, comme le soulignait récemment Ovidie, vient déjà d'un souci de terminologie. Pas uniquement parce que le mot "éjaculation" désigne un phénomène exclusivement masculin (par extension, il en est certes venu à signifier l'éjaculation de sperme, mais techniquement parlant, il concerne n'importe quelle expulsion de liquide corporel un peu vive – on peut éjaculer de l'urine, par exemple), mais surtout parce qu'il désigne, chez la femme, des réalités différentes.

La grande hétérogénéité des travaux scientifiques

L'étude du gynécologue Zlatko Pastor publiée ce mois-ci dans "The Journal of Sexual Medicine" tente justement de démêler ce sac de nœuds et de proposer "une classification simple et rigoureuse des différents types de fluides expulsés au cours de l'activité sexuelle" féminine. Le médecin les catégorise suivant leur source, leur mécanisme d'origine, leur volume et leur composition, en se fondant sur l'examen de 46 études et de cinq livres publiés sur la question et en langue anglaise, entre 1948 et 2012.

Le premier souci auquel s'est heurté ce médecin du centre hospitalier universitaire de Motol, en République Tchèque, c'est la très grande hétérogénéité des travaux scientifiques disponibles. Au départ, en cherchant plusieurs mots-clés sur deux grandes bases de données scientifiques (Embase et le Web of Science), il s'est retrouvé avec 413 sources.

Un nombre qu'il a dû ensuite réduire en ciblant autant que faire se peut l'homogénéité des méthodes et des phénomènes étudiés. Par exemple, les études concernant la satisfaction sexuelle de femmes souffrant d'incontinence urinaire, sans pour autant mentionner l'expulsion d'un fluide quelconque pendant les rapports, ont dues être écartées de l'écrémage final.

J'ai dit "autant que faire se peut", parce que les études sur l'éjaculation féminine souffrent malheureusement d'une très grande hétérogénéité, en particulier dans leur méthodes d'échantillonnage et d'acquisition des données. C'est ainsi que, selon les études, entre 10 et 54% des femmes auraient expérimenté le phénomène, en expulsant une quantité de liquide allant d'1ml à près d'un litre ! Ce qui est assez peu probable, vu que la "prostate féminine" ne représente qu'entre le quart et le cinquième de la prostate masculine – qui produit pour sa part des éjaculats de 3,2 ml en moyenne.

L'éjaculation féminine recouvre trois réalités

Un autre problème, comme le dit Pastor, c'est que "des expulsions pendant l'orgasme de divers types de fluides, en diverses quantités et venant d'endroits divers sont considérés à tort comme relevant du même phénomène". Pour le médecin, "l'éjaculation féminine" recouvre au moins trois réalités :

1. La lubrification vaginale "normale"
Le fluide est dans ce cas de la cyprine, une sécrétion plasmatique produite par les glandes de Bartholin, s'écoulant sur les parois du vagin et provoquée par un pic de peptide vasoactif intestinal. Sa composition et sa quantité change selon l'intensité et la durée de l'excitation sexuelle, mais ce liquide translucide contient en général de l'eau, de la pyridine, du squalène, de l'urée, de l'acide acétique, de l'acide lactique, des aldéhydes, des cétones ainsi qu'une abondante flore bactérienne.

2. L'éjaculation féminine à proprement parler
Selon les études (et peut-être les femmes), il s'agit d'un liquide blanchâtre ou translucide, produit par les glandes de Skene ou "prostate féminine" dont seraient dotées entre la moitié et les deux-tiers des femmes. Ces glandes sont aussi de taille et de localisation variables. La substance qui différencie cet "éjaculat" des autres fluides potentiellement expulsés, c'est l'antigène prostatique spécifique, que l'on retrouve aussi dans le sperme. Certaines études montrent que ce liquide peut se mélanger à de l'urine d'une structure biochimique légèrement modifiée, mais quand même produite par la vessie.

3. Un symptôme de stress et d'incontinence urinaires
L'incontinence urinaire concerne entre 20 et 45% de la population féminine. Un type spécifique de cette incontinence, explique Pastor, peut être considérée à tort comme de l'éjaculation féminine : il s'agit de l'incontinence coïtale, ou le fait d'uriner sans le vouloir pendant un rapport sexuel. Là encore, les chiffres sont extrêmement volatiles : selon les études, la chose concernerait entre 0,2 et 66% des femmes !

Historiquement, l'éjaculation féminine a été considérée comme un symptôme intermittent voire constant d'incontinence urinaire, mais les progrès en analyse biochimique des fluides expulsés permettent aujourd'hui de différencier les phénomènes. Et de fait, de distinguer un phénomène pathologique et traitable (l'incontinence coïtale) d'un autre qui ne l'est pas (l'éjaculation féminine).

Désamorcer ce "phénomène de foire"

L'étude de Pastor est doublement intéressante. Premièrement, elle permet de désamorcer le trip "phénomène de foire" qui a pu s'emparer de l'éjaculation féminine ces dernières années en le présentant comme une variation certes rare, mais loin d'être exceptionnelle de la réponse sexuelle féminine.

Deuxièmement, elle souligne combien les études sérieuses sur le sujet sont encore trop rares et bien trop lacunaires en termes d'homogénéité méthodologique et même de fiabilité – la grande majorité des articles parus sur le sujet se fonde sur des questionnaires ou des données collectées par les participantes, sans le moindre contrôle de la part des équipes de recherche.
Avec l'éjaculation féminine, on a peut-être le parangon des difficultés que connaît la science du sexe. La réaction la plus commune, c'est de dire les deux termes antithétiques. La sexualité serait un sujet "sensible", qui cadre mal avec la froideur des laboratoires, véritables "casseurs" de spontanéité, d'intimité et j'en passe et des meilleures. Je n'ai jamais partagé ce point de vue. La première des émancipations, c'est l'information et cette information s'acquière avant tout par des procédures standardisées, des méthodes et des observations reproductibles.

Tant que l'éjaculation féminine restera dans les limbes méthodiques que Pastor vient de mettre en évidence, elle fera le bonheur des marchands de mystères et d'autres "guides pratiques" qui ne reposent sur aucun fait scientifique. Avec un grand risque de déception voire d'endoctrinement au coin de la rue.

Aujourd'hui, la première nécessité est un consensus sur la terminologie et la classification de l'éjaculation féminine. Le but, c'est de permettre des "diagnostics plus précis" et de garantir "l'information correcte des professionnels de santé et du grand public". Et après, on verra ce qu'on peut conseiller aux femmes pour atteindre ce type d'excitation et d'orgasme. Pas avant.

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