dimanche 8 avril 2012

Les avantages de la fidélité


Les avantages de la fidélité

Dans son dernier livre, La Force de la fidélité, le philosophe Alain Etchegoyen fait l’éloge de celle qu’il appelle une “idée neuve”. L’occasion d’enquêter sur cette valeur en hausse, choisie et non plus imposée par la morale.


« La monogamie, c’est comme l’arrêt de la cigarette : un jour après l’autre, sans penser à demain, avec la fierté d’être plus fort que la tentation. » Bertrand, 46 ans, est un ancien fumeur.
Et un ancien volage. Il vit aujourd’hui avec Caroline, sa troisième femme, depuis quatre ans. « Je n’ai jamais été fidèle aux deux premières. Elles le savaient plus ou moins. Mes incartades sexuelles n’ont jamais été la cause réelle, avouée, de nos séparations. Mais aujourd’hui, je sais qu’elles ont sapé mes précédents couples. Avec Caroline, très exigeante sur la question, j’ai accepté de tenter l’engagement à 100 %. Et pour l’instant, à ma grande surprise, ça me va très bien comme ça. »

Le ras-le-bol des excès

Réac, Bertrand ? Dans l’air du temps en tout cas. Le feuilleton de votre été « people » ? Isabelle Adjani rompt publiquement avec Jean-Michel Jarre pour cause de liaison adultère. L’un des succès de la rentrée cinématographique ? Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants (d’Yvan Attal, avec Yvan Attal et Charlotte Gainsbourg, août 2004), dans lequel le personnage d’Yvan Attal trompe sa femme avec tant de remords que l’on se dit qu’il ferait mieux d’être fidèle ! L’essai philosophique qui monte ? La Force de la fidélité dans un monde infidèle, dans lequel Alain Etchegoyen affirme haut et fort : « Tandis que tous se laissent emporter par le temps, ses progrès et ses accélérations, l’homme et la femme fidèles tiennent le coup, résistent ».
Etrange retournement de situation : à l’époque où le curé conduisait nos vies, où l’ordre social nous enfermait dans de petites cases toutes faites, où fidélité rimait avec éternité, le vagabondage sexuel était la marque des rebelles à l’ordre moral. Aujourd’hui, le zapping est partout. Mieux, il est valorisé, au risque d’engendrer un sentiment de vertige. Pour la psychothérapeute Paule Salomon, « la fidélité est un rempart qui nous protège de nous-même, de nos débordements, difficilement contrôlables donc potentiellement dévastateurs. Certains construisent une fidélité qui tente de répondre aux peurs liées à une blessure d’enfance. D’autres vivent des fidélités passionnées, des relations de corps, d’esprit ou d’âme qui nourrissent suffisamment pour que le renoncement ne soit pas vécu comme une frustration. »
« Je n’ai jamais été militante de la fidélité par principe, explique Emilie, 32 ans. Pour moi, on pouvait aimer deux personnes en même temps. Mon premier compagnon était sur la même longueur d’ondes. Nous nous trompions, nous en parlions, parfois même nous en jouions. Et puis, un jour, je me suis sentie menacée par l’une de ses conquêtes. Je suis devenue jalouse. Je suis entrée dans la souffrance. Dans mon nouveau couple, je suis fidèle parce que je considère que c’est un idéal de vie qui en vaut bien un autre. Avec le précédent, je vivais un amour adolescent, qui veut tout, tout de suite. Là, je suis dans une relation adulte. Il y a des choix à faire et je les assume. Et je trouve ça valorisant. »

Se donner du temps

La fidélité comme victoire du narcissisme ? Pourquoi pas, répond le thérapeute de couple Gérard Leleu : « Faire le choix de l’exclusivité sentimentale et sexuelle pour son partenaire, c’est lui prouver qu’il est préféré à tous les autres, que les sentiments qu’il vous inspire sont supérieurs aux autres, bref qu’il est unique. Si la fidélité est réciproque, ça veut dire que vous aussi vous êtes unique. Et c’est fou ce que ça fait du bien, non ? »
Au-delà de la satisfaction, dont parle aussi Alain Etchegoyen, d’être un "résistant", beaucoup de ces nouveaux convertis admettent qu’être fidèle à l’autre ressemble fort à être fidèle à soi. Pour Serge Chaumier, sociologue, « l’adultère est devenu insupportable car il représente une trahison de soi-même. Non seulement l’idéal de départ est mis à mal, mais l’image de soi et surtout le type de relation établi avec son partenaire en souffrent. »
« Jusqu’à l’âge de 39 ans, je n’ai jamais été fidèle à mes compagnes, résume Jean-Marc, 48 ans. Chacune m’apportait un petit bout de quelque chose qui comblait des manques que je me gardais bien d’explorer. Et je pense que je ne leur donnais que des petits bouts de moi. Nous étions dans des relations morcelées. Aujourd’hui, ce qui a changé avec ma femme, c’est qu’elle me comble. Et lorsqu’il y a un manque – qui est, avouons-le clairement, le plus souvent sexuel selon moi –, je suis patient. Parce qu’aujourd’hui, je nous donne du temps. »
Pour Gérard Leleu, ce temps donné à l’autre et à soi-même est essentiel : « Il faut parfois plusieurs années pour s’ajuster, notamment sur le plan sexuel. Si, au nom de l’accomplissement personnel, nous allons tout de suite satisfaire nos désirs à l’extérieur, pallier la plus petite insatisfaction dans d’autres bras, le couple perd lentement de son importance. »

La bonne distance

« En trompant mon premier mari, explique Anne-Laure, 36 ans, j’allais chercher ailleurs ce qui me manquait chez lui. En étant fidèle au second, je travaille à l’équilibre de mon couple. Quand je me sens blessée par l’une de ses attitudes, au lieu d’aller chercher du réconfort dans les bras d’un autre, je lui parle de ma fragilité. Du coup, nous sommes intensément à l’écoute l’un de l’autre. Si l’un de nous devait tromper l’autre un jour, cette communication que nous entretenons nous aiderait peut-être plus facilement à surmonter la crise. »
Pour Serge Chaumier, c’est cette négociation sur une forme d’infidélité acceptable, loin des carcans moralistes, qui est l’une des définitions du couple de demain : « Le couple des années 1960 était fusionnel et romantique. Celui d’aujourd’hui est “fissionnel”. Chacun définit son contrat, ce qu’il est permis de faire et jusqu’où : danser, flirter, coucher… Délestée du poids de la morale judéo-chrétienne, la fidélité n’est plus charnelle, mais se recompose sous une forme plus spirituelle. » A chaque couple d’inventer sa fidélité nécessaire, quitte à céder aux « amours contingentes », selon l’expression de Sartre et Beauvoir. « Contrairement à l’amour fusionnel qui prétend nier ou se passer d’un tiers, conclut Chaumier, les amours fissionnelles contemporaines reconnaissent sa place, même si elle est à chaque fois limitée et négociée. » Après les rigueurs corsetées du mariage de raison et les excès passionnels du mariage d’amour, les couples du XXIe siècle sont-ils sur le point d’inventer l’amour de raison ?

« Il y a du désamour dans l’infidélité »

Sur notre site Internet, les partisans de la fidélité affichent de plus en plus leurs valeurs. Ainsi, un “Avis aux infidèles” a suscité, en un mois, quelque quatre cents réponses (contre une vingtaine d’habitude…). Parmi elles, le témoignage de Hérome, une jeune femme de 33 ans.
« J’ai expérimenté toutes les facettes : infidèle, maîtresse d’un infidèle et aujourd’hui trompée… De tout cela, je suis revenue attachée à un idéal amoureux de fidélité, pour plusieurs raisons. Parce l’infidélité est rarement source d’épanouissement. Parce que l’infidèle fuit souvent un problème dans son couple ou avec lui-même. Parce qu’il/elle détourne une énergie qui pourrait être bien plus créatrice dans son couple. Parce qu’il souille son idéal amoureux. […] Aujourd’hui, mon expérience m’a appris que dans l’infidélité, il y a beaucoup de désamour pour l’autre et pour soi, qui nous mène à puiser dans l’amour des autres pour combler nos vides. Aimer vraiment est un travail à temps plein, qui demande compassion, tendresse, observation, attention, tolérance, prévenance. C’est tellement difficile que je ne vois pas comment on pourrait parvenir à le donner à plusieurs personnes en même temps. »

Les victimes de la guerre parentale



 

Les victimes de la guerre parentale

Après la séparation, certains parents entrent dans un cercle de haine, dénigrant systématiquement leur ex-conjoint. Cette attitude porte un nom : le syndrome d’aliénation parentale. En première ligne ? Les enfants.
Olivia Benhamou

En 2004, Patrice et Coline divorcent par consentement mutuel. Leur fille Rachel, alors âgée de 9 ans, passe sans difficulté du toit paternel au toit maternel. Mais lorsqu’une nouvelle femme entre dans la vie de Patrice, tout change. Rachel se met à refuser les week-ends avec son père, à lui crier : « Je te hais » quand il vient la chercher au domicile maternel, à jalouser l’affection qu’il porte à la fille de sa nouvelle compagne. « C’est évident pour moi que ces comportements lui sont suggérés par sa mère, s’exclame Patrice. A 10 ans, on n’a pas de tels raisonnements ! En plus, lorsqu’elle s’éloigne de son cadre de vie maternel, elle se détend et me manifeste à nouveau de l’affection, comme avant. Ce qui prouve bien qu’au fond, elle n’a rien contre moi. »
Aujourd’hui, Patrice a entamé une procédure pour réclamer la garde de sa fille. « En cas d’échec, je suis prêt à ce que Rachel soit placée, lâche Patrice. Tout ce que je désire, c’est qu’elle échappe à la folie de sa mère qui l’enferme progressivement dans un univers quasi sectaire. »
Le basculement peut être encore plus brutal. En l’espace d’un week-end passé chez leur père, les trois enfants de Nora, âgés de 9, 11 et 12 ans et demi, ont radicalement changé d’attitude, menaçant leur mère de faire une grève de la faim s’ils restaient habiter chez elle, refusant de s’asseoir à ses côtés, de la laisser entrer dans leur chambre, l’accusant d’attouchements.
Ces deux histoires révèlent une même souffrance engendrée chez l’enfant par la séparation : le syndrome d’aliénation parentale, cette manipulation psychique qu’un parent exerce, parfois sans en avoir conscience, sur son enfant. « Il s’agit d’un trouble de la relation plus que d’un trouble de la personnalité, explique le psychiatre Paul Bensussan, auteur notamment du Désir criminel avec Jacques Barillon (Odile Jacob, 2004). La haine et le dégoût de l’autre sont à mon avis le principal moteur de l’aliénation parentale. »
Le dénigrement de l’autre parent se fait souvent progressivement. « Cela commence par de petites choses : on ne donne pas un carnet de santé, on refuse de passer le téléphone à l’enfant quand l’ex-conjoint appelle, on prévoit des activités extrascolaires sur le temps qui lui est imparti », raconte Maître Pascaline Saint-Arroman Petroff, avocate spécialisée en droit de la famille et en divorces conflictuels. Certains vont jusqu’à déménager à l’autre bout de la France pour « punir » l’autre, ou présentent leur nouveau conjoint comme le nouveau papa ou la nouvelle maman. « Cela se termine par un rejet complet et, la plupart du temps, injustifié du parent aliéné par l’enfant, sans aucun rapport avec la qualité de leur relation jusque-là », observe Paul Bensussan.
Le comportement du parent aliénant se révèle dramatique pour la construction psychique de l’enfant : « L’enfant victime d’aliénation parentale a un raisonnement totalement manichéen, souligne le docteur Bensussan. Un parent ne présente plus que des défauts, l’autre, que des qualités. L’enfant ne retrouve même plus un seul bon souvenir avec le parent rejeté… Il faut dire et répéter que c’est une véritable maltraitance infligée aux enfants. » Ces derniers sont à la fois victimes et instruments d’une vengeance qui les dépasse. Pris dans un conflit de loyauté, ils se voient contraints de choisir entre leur père et leur mère. Une décision qu’un enfant n’a pas à prendre. La justice française ne reconnaît malheureusement pas encore clairement les dangers de cette manipulation psychique : les juges ne font pas la distinction entre l’aliénation parentale et la souffrance légitime occasionnée par toute séparation. Pour anticiper les conflits, la France pourrait prendre exemple sur le Canada, qui prévoit pour chaque couple des formations gratuites fondées sur le dialogue.


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