Problématique de la
jeunesse en milieu rural
Haïti a une
population de plus de 8 millions d’habitants, dont 60 % vivant en milieu rural
et plus de la moitié étant des femmes. Les moins de 21 ans se chiffrent à plus
de 50 % et ceux de moins de 15 ans à 36.5 %. Autant dire qu’Haïti a une
population plutôt jeune, tout en reconnaissant que derrière ce tableau se cache
une situation plutôt complexe, plurielle ou hétérogène sur le plan sexe, milieu
géographique et couche sociale, etc. En général, on considère la jeunesse comme
l’avenir d’un pays. Plus elle est éduquée, encadrée ou prise en charge, plus sa
contribution ou la qualité de celle-ci façonnera positivement la vie de ce pays
et donc son développement, sa croissance économique, sa vie culturelle, etc.
Quelle est la situation de la jeunesse haïtienne actuelle ?
Comprendre la
situation de la jeunesse haïtienne, c’est tout d’abord questionner celle
d’Haïti qui est malheureusement caractérisée par :
l’extrême pauvreté (environ les 3/4 de la
population vivent avec moins de US$ 2 par jour),
un environnement très dégradé (moins de 2 % de
couvert forestier),
un taux de chômage élevé (de plus de 60 %),
une faible production de biens maintenant le
pays dans une dépendance accrue (par exemple, plus de 50% des besoins
alimentaires sont couverts par l’importation),
un accès très limité de la population aux
services sociaux de base et aux infrastructures de progrès économiques et
technologiques.
Ce qui fait d’Haïti
le bon dernier dans nombre de domaines, le seul PMA de la Caraïbe ou plus
largement encore de l’hémisphère occidental. Elle est au 146e rang mondial sur
177 dans le classement du PNUD relatif aux indices de développement humain
(IDH). Une telle situation expose sa population à toutes sortes de
tribulations, et plus particulièment aux fléaux actuels de la drogue, de la
prostitution, du kidnapping, de la criminalité juvénile, du sida, de la
migration, etc. Les troubles politiques et la crise de l’emploi poussent une
grande partie des jeunes éduqués à l’étranger, notamment en amérique du nord.
Ceux qui ne peuvent pas partir sont restés coincés dans l’engrenage de cette
spirale monstrueuse qui les bloque dans leur rêve, leur fougue, leurs capacités
d’améliorer leurs conditions de vie et de contribuer activement au
développement de leur pays. C’est une jeunesse en crise dont une large partie
peuple nos bidonvilles, vit dans le chômage et la délinquance, noie ses
frustrations dans la drogue et la sexualité. Notons que le groupe d’âge de 25 à
29 ans affiche le niveau de fécondité le plus élevé.
Cette jeunesse qui
se gaspille malheureusement est pourtant en quête de connaissance ou de savoir,
de valorisation de soi et de participation. Une infime partie de cette jeunesse
pour assurer sa survie dans la dignité investit son temps dans l’économie informelle
et la culture, expliquant ainsi la dynamique de ces deux secteurs et en même
temps sa grande potentialité si elle était encadrée. Cette jeunesse est en
quête d’apprentissage d’un métier. Dans le programme de formation
professionnelle de l’INFP, par exemple, la demande sociale est de loin
supérieure à l’offre. C’est la même faiblesse que l’on observe pour l’accès des
jeunes à l’université publique. Ceux qui ont les moyens d’aller dans les
universités privées sont nettement minoritaires. Donc une masse accrue de
jeunes se retrouve en dehors du circuit scolaire et du jeu de l’économie de
marché, pour devenir tout simplement un objet de manipulation politique et une
proie facile pour les actes criminels. La jeunesse en milieu rural est encore
plus vulnérable et défavorisée. Cela vient du fait que le milieu rural a
toujours été délaissé et aujourd’hui plus que jamais est traité en parent
pauvre, provoquant en même temps une désintégration sociale des familles et une
érosion des valeurs. Il y règne une situation d’enclavement, de désolation et
de misère qui s’accentue quotidiennement. Les gens arrivent à manger à peine
une fois par jour. L’enquête sur les conditions de vie en Haïti a démontré que
la pauvreté est d’abord et avant tout un phénomène rural. Plus de la moitié de
cette population vit en dessous de la ligne de pauvreté extrême de US$ 1/jour
par personne. Les infrastructures de progrès socio-économiques sont quasi
inexistantes. Pas d’accès à l’électricité, aux facilités de sports et de
loisirs, à la technologie de l’information et de la communication, au centre de
formation professionnelle. Les services de base en terme d’éducation, de santé,
d’eau et d’assainissement, sont très faibles et de qualité inférieure.
Malgré l’effort des
parents pour envoyer leurs enfants à l’école, le taux d’analphabétisme en
milieu rural est élevé, soit 54.7 %. Il est trois fois plus que celui de la
région métropolitaine (17.7 %) et deux fois plus que celui des autres villes
(26.6 %). C’est également un problème d’accès au capital et de pouvoir d’achat.
Pour les paysans, l’accès au capital passe par la terre. Or, si celle-ci ne
constitue pas un problème en milieu rural (93 % des paysans y ont accès dont 82
% sont propriétaires des terres qu’ils occupent), le facteur de blocage est la
taille des exploitations. Ainsi, le morcellement des terres, leur exploitation
intensive et abusive par des techniques culturales non appropriées provoquent
une dégradation de l’environnement qui diminue progressivement leur
productivité et donc la capacité des parents d’assurer la survie de la famille
et, en particulier, d’apporter aux jeunes l’encadrement nécessaire à leur
bien-être. Ceux qui ont la chance d’aller à l’école abandonnent très tôt, pour
se retrouver ensuite au chômage et devenir un fardeau pour la famille. Les
jeunes ruraux voient leur avenir dans leur zone de plus en plus difficile ou
compromis. En quête d’exutoire économique et de satisfaction de leurs besoins,
ils laissent leur zone pour d’autres destinations : les villes, la capitale et
l’étranger.
Bref, la jeunesse
en milieu rural vit une situation très difficile qui la fragilise, qui la mine
même dans les valeurs intrinsèques de sa culture, qui l’expose à une perte
d’identité, de fierté nationale, d’estime de soi et de dignité humaine. Victime
d’exclusion sociale et de marginalisation, elle a le sentiment de ne pas
appartenir à la structure sociale qui garantit pleinement l’exercice de la
citoyenneté et l’accomplissement individuel. Faute d’encadrement, c’est une
ressource qui se gaspille. Ses potentialités énormes sont restées atrophiées.
Comme l’a dit le CLED « Le pays crie son besoin de leaders ayant la vision
capable de soulever l’enthousiasme d’une jeunesse majoritaire, dont le besoin
le plus pressant est celui de trouver une raison d’espérer ».
Tout ceci nous
amène à comprendre et à dire qu’il faut un autre cadre de référence qui met
l’emphase sur le capital humain. Car, le développement est avant tout un
facteur humain. De façon plus explicite, ce nouveau cadre de référence devrait
accentuer, d’une part, la promotion d’une éducation à la compétitivité et au
civisme ; d’autre part, le désenclavement technologique, notamment la promotion
de la technologie de l’information et de la communication (TIC) qui constitue
aujourd’hui une arme importante pour le transfert de connaissances, l’échange
entre les couches sociales et le dialogue des cultures.
Ce nouveau cadre de
référence, tout en recherchant la participation et l’engagement des jeunes dans
le développement de leur communauté, doit se traduire aussi par une
augmentation de l’investissement public en vue de soutenir la production de
biens et de répondre à la demande sociale de services et de justice. L’Etat
intervient aussi pour orienter la coopération internationale et la mettre
activement au service de la décentralisation.
Aujourd’hui,
l’expérience de Vallue bien que jeune apporte des éléments de réponse dans la
construction d’un nouveau modèle s’inspirant du slogan « penser globalement et
agir localement ». Elle offre en même temps un cadre pour l’échange et la
coopération entre les jeunes de Vallue et ceux d’ailleurs et de la diaspora. En
plus du programme multisectoriel de développement de l’APV, le programme
touristique en particulier s’inscrit dans une perspective d’offrir aux Haïtiens
et aux étrangers un beau prétexte pour aller en milieu rural, à la rencontre du
paysan en nouant avec lui un autre type de rapport qui permettra de mieux
comprendre l’existant socio-culturel, environnemental et économique de son
milieu.
Repenser Haïti avec
la jeunesse haïtienne, c’est construire le développement par le bas pour
réduire les inégalités sociales et apporter à la jeunesse les moyens de
s’épanouir, d’avoir confiance en soi et en l’avenir de son pays. D’où la
nécessité d’opérer un travail profond de modification des mentalités, de
transformation de l’infrastructure et de réorientation des intérêts matériels.
C’est donc construire la nation, changer l’Etat pour le mettre véritablement et
définitivement au service de la société tout entière.
Abner Septembre, MA Sociologie
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