Marie-Françoise Baslez, spécialiste des religions du monde gréco-romain nous présente une étude sur nos racines chrétiennes, loin de l’interprétation actuelle qui veut que les événements soient dus à un seul homme providentiel qui imposerait une rupture, un changement radical à sa société. Elle s’attache à démontrer qu’entre St Paul et la conversion de Constantin, ce sont écoulés trois siècles durant lesquelles cette religion du salut s’est enracinée localement par delà les clivages statutaires de l’époque.
L’empire romain était une association de cités où chaque peuple était libre de célébrer ces dieux ancestraux. La cité était un cadre où s’exerçait la citoyenneté et qui a résisté aux changements politiques. C’est dans ce cadre qu’il faut chercher la prédication et la diffusion du christianisme, pas seulement dans l’histoire des idées ou du pouvoir. Marie-Françoise Baslez présente une religion qui parait éclatée, dispersée et non l’expansion continue vers un triomphe assumé par Constantin. Son approche se veut loin des anachronismes ou d’une « église des catacombes » et démontre que le christianisme fut tout, sauf une rupture, mais bien un long processus que l’on doit à la stratégie missionnaire, l’engagement dans l’action sociale, les mouvements associatifs, comme dans les persécutions.
Le christianisme est « la seule religion où la persécution est vécue comme un élan missionnaire », car empêchés d’évangéliser à Jérusalem, les premiers chrétiens, surtout les hellénistes du groupe d’Etienne, partirent en direction de Damas, Antioche, Rome, en suivant les routes habituelles de la diaspora. La nouvelle religion s’inscrit dans le milieu urbain des grandes cités dès les années 40. Les premiers chrétiens se divisaient en différentes courants issu du judaïsme : Pierre et son groupe, Jacques présenté comme parent du Christ, les hellénistes, les mouvements baptistes et Paul.
La société chrétienne s’est construite progressivement et les choix sociétaux furent décisifs lors des premières décennies. Des structures communautaires de type familial et associatif furent mises en place par Paul qui avait compris l’importance des réseaux ethniques, sociaux et professionnels dans la survie des premières communautés. Paul et ces communautés engagées dans le monde, récusaient tout communautarisme, étaient persuadés que la fin était proche, mais en attendant, vivaient normalement, travaillaient, se mariaient, ne se retiraient pas du monde. Pas de mise en commun des biens comme dans la communauté de Jérusalem, pas de rupture avec l’environnement social, où le tissu associatif était très vivace à cette époque, qui intégrait ses membres dans des réseaux très variés. Les convertis devaient continuer d’adhérer à ces appartenances et vivre leur foi sans renier leur identité d’origine ni leurs solidarités.
Paul a utilisé toutes les structures de son temps pour propager la « Bonne Nouvelle » ; il dissocia pour la première fois religion et culture, milita pour l’intégration politique après avoir mis en place le processus d’intégration sociale. Il fit des Chrétiens un peuple, un peuple résultant d’un choix volontaire. Mais si Paul voulait intégrer le christianisme dans la société, ce qui n’était pas le choix d’autres groupes, d’où les difficultés et l’ostracisme qu’il rencontra avec les autres mouvements. Ainsi au tournant du IIe siècle, les communautés chrétiennes n’étaient pas toutes unanimes face au pouvoir impérial. Certaines privilégièrent la mission, d’autres restèrent repliées sur elles-mêmes et défendirent leurs spécificités.
Aux IIe et IIIe siècle, le christianisme, n’a pas encore renouvelé le modèle dominant gréco-romain, mais il a bien épousé les identités locales et a été capable de construire « une culture chrétienne nationale, ce que fera le christianisme arménien quelques siècles plus tard, après le christianisme syriaque » (p 114). Malgré les multiples courants, c’est à cette époque que l’unité va se réaliser grâce aux réseaux de notables et surtout des évêques qui, depuis Paul, ont organisé une communication efficace entre chrétiens. « Les grandes figures épiscopales du IIe et IIIe siècle ont toutes une double dimension, locale et internationale » (p 121). Ils « jouèrent un rôle déterminant dans la construction de l’Eglise, parce qu’ils étaient des gestionnaires, des intellectuels et des gens mobiles. » (p 127). C’est à cette époque qu’apparaît la nécessité de sélectionner les premiers textes qui constitueront le canon, face aux controverses ou hérésies naissantes et que la primauté de Rome, siège de la « grande Eglise » finit par s’imposer.
L’Eglise des premiers siècles n’est donc pas une Eglise des catacombes, mais atteste d’une visibilité des groupes chrétiens dans la cité et la visibilité du martyre. Si les chrétiens étaient « interdits », ils n’étaient pas forcément poursuivis et les persécutions ne ressemblaient pas à de grandes rafles. Malgré les horreurs commises, les persécutions ont surtout prouvé leur inefficacité dans l’éradication du christianisme.
Enfin, l’édit de Milan (janvier 313) mit fin à une longue période d’atermoiements où les édits de tolérance alternaient avec les périodes de persécutions. De fait, l’édit de Milan n’est que le décret d’application d’un édit de tolérance antérieur où le principe de liberté religieuse pour tous est définitivement admis, ce qui constitue une véritable innovation, inspirée par les revendications chrétiennes. Il ne se contentait pas, en effet, de rendre leurs biens aux chrétiens et de leur accorder quelques libertés. Constantin accepte le christianisme avant de l’adopté sur son lit de mort en 337. Mais sa conversion a accéléré la christianisation de l’empire et le développement institutionnel de l’Eglise.
Les chrétiens au temps de Constantin, sont une minorité, mais une minorité agissante, « le christianisme était déjà une présence sociale avant Constantin, et il continua de s’enraciner en Europe après lui, dans un milieu différent qui devint celui des royaumes barbares » (p 205).
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