Depuis quelques années, on pensait que notre mémoire à long terme ne dépendait que d’une seule molécule
: la PKMzeta. Cependant, deux études américaines indépendantes viennent
de montrer que même sans elle, des souris n’avaient aucun problème pour
se souvenir de tout. Si notre mémoire est sûrement moins fragile qu’on
le pensait, elle est aussi plus complexe…
Tout commence en 2007. Todd Sacktor, brillant chercheur au SUNY Downstate Medical Center de New York parvient, avec son équipe, à effacer des souvenirs d’odeurs désagréables chez des rats. Ces scientifiques avaient effectivement remarqué qu’une enzyme, nommée PKMzeta (protéine kinase
M-zeta) semblait jouer un rôle clé dans les processus de mémorisation à
long terme. En injectant son inhibiteur, la protéine ZIP, les mauvais souvenirs avaient disparu.
D’autres ont réitéré la manipulation chez différents
modèles animaux, avec succès. En 2011, Todd Sacktor a même réalisé
l’inverse : cette fois, il a injecté des virus porteurs du gène de la PKMzeta pour que ses rongeurs la produisent en excès. À la fin de l’expérience, la mémoire des goûts déplaisants des rats était renforcée.
Cette enzyme joue donc un rôle central dans la
mémoire, puisqu’en l’inhibant spécifiquement, tous les souvenirs
disparaissent alors qu’en l’activant, de nouveaux souvenirs se forment
plus intensément. La mémorisation repose donc sur un modèle simple mais fragile, puisque sous la dépendance d’une seule et unique molécule…
La mémoire passe par les neurones, et obligatoirement par les connexions qui les réunissent : les synapses.
Seulement, même chez les souris qui n'expriment pas la PKMzeta, les
synapses ne présentent aucun signe d'altération... © Emily Evans,
Wellcome Images, Flickr, cc by nc nd 2.0
La PKMzeta tombe de son piédestal
Cependant, le rôle précis de la PKMzeta reste
inconnu. Deux laboratoires américains ont décidé, chacun de leur côté,
d’en découvrir un peu plus sur cette enzyme cruciale. Richard Huganir,
de la John Hopkins University de Baltimore, et Robert Messing, de l’université de Californie à San Francisco (UCSF), ont tous deux entrepris de développer des lignées de souris
génétiquement modifiées pour ne pas exprimer la PKMzeta. Ainsi,
l’objectif était de voir à quel niveau la protéine intervenait en
observant les défauts d’apprentissage et de mémorisation des souris. Les travaux sont publiés dans la même édition de la revue Nature.
Les résultats obtenus n’étaient pas du tout ceux attendus par les scientifiques. Sur la côte est, Richard Huganir et son équipe se sont focalisés sur les cerveaux de leurs cobayes. La mémoire à long terme se caractérisant par le renforcement des liaisons entre neurones (ou synapses),
ils s’attendaient à observer de profondes lacunes. Que nenni ! Ils
n’ont observé aucune différence avec les cerveaux des souris normales.
Sur la côte ouest, Robert Messing et ses collègues ont préféré observer la mémoire par l’expression des comportements. Leurs rongeurs ne manifestaient aucun problème pour se souvenir de peurs persistantes, des objets, des lieux et même des mouvements à suivre lors d’une batterie de tests comportementaux. Ces animaux avaient toute leur tête malgré l’absence de PKMzeta.
Les
souris génétiquement conçues pour ne pas synthétiser de PKMzeta n'en
perdent pas pour autant la mémoire. Mettez-les dans un labyrinthe
qu'elles connaissent déjà et elles retrouvent la sortie très vite ! ©
Mise en place d’un phénomène compensatoire pour la mémoire ?
Dans les deux expériences, les souris ont eu droit à
une injection de ZIP, cet inhibiteur de l’enzyme qui, rappelons-le, est
absente. Pourtant, c’est seulement à ce moment que les souris ont
commencé à perdre la mémoire. ZIP efface toujours les souvenirs malgré l’absence de sa cible.
Est-ce le signe que PKMzeta
n’est d’aucune utilité dans la mémoire ? Pas forcément, répondent les
scientifiques. Il a régulièrement été observé des mécanismes de
compensation : quand un gène important disparaît, un autre, apparenté,
peut prendre le relais. C’est un peu comme une personne non-voyante
qui exacerbe l’utilisation de ses autres sens afin de pallier sa
cécité. Une cousine comme la PKMlambda aurait-elle assumé ce rôle ?
La mémoire à long terme, pas aussi simple que prévu
Richard Huganir et ses collègues ont mis au point
une nouvelle expérience pour déterminer l’importance relative de la
PKMzeta. Cette fois, ils disposaient de rongeurs chez qui l’enzyme
s’inactivait à l’injection d’un médicament. Les scientifiques ont laissé
les souris grandir jusqu'à l'âge adulte et assimiler des souvenirs.
Puis ils ont éteint la protéine. Là encore, ils sont retournés regarder
dans le cerveau
: tout était normal. Et pourtant, dans ce cas, l'organisme n'a pas eu
besoin de mettre en œuvre des mécanismes compensatoires...
De tels résultats compliquent la donne. Les
neurobiologistes pensaient détenir une explication simple et logique aux
processus de mémorisation, mais la réalité semble plus complexe. Si la
PKMzeta intervient probablement à un niveau ou un autre, d’autres voies
sont nécessaires à l’établissement des souvenirs. Lesquelles ? Cela
reste encore un mystère, qu’il ne sera pas simple de résoudre.
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