Le Sphinx
Le sphinx était assis sur son roc solitaire,
Proposant une énigme à tout front prosterné,
Et si le roi futur succombait au mystère,
Le monstre disait : Meurs, tu n'as point deviné !
Oui, pour l'homme ici-bas la vie est un problème,
Que résout le travail sous la faux de la mort.
De l'avenir pour nous la source est en nous-même,
Et le sceptre du monde appartient au plus fort.
Souffrir c'est travailler, c'est accomplir sa tâche !
Malheur au paresseux qui dort sur le chemin !
La douleur, comme un chien, mord les talons du lâche
Qui d'un seul jour perdu surcharge un lendemain.
Hésiter, c'est mourir ; se tromper, c'est un crime
Prévu par la nature et d'avance expié.
L'ange mal affranchi retombe dans l'abîme,
Royaume et désespoir de Satan foudroyé !
Dieu n'a jamais pitié des clameurs ni des larmes,
Pour nous consoler tous, n'a-t-il pas l'avenir ?
C'est nous qui du malheur avons forgé les armes,
C'est nous qu'il a chargés du soin de nous punir !
Pour dominer la mort il faut vaincre la vie,
Il faut savoir mourir pour revivre immortel ;
Il faut fouler aux pieds la nature asservie
Pour changer l'homme en sage et la tombe en autel !
Du sphinx le dernier mot c'est le bûcher d'Alcide,
C'est la foudre d'Oedipe et la croix du Sauveur.
Pour tromper les efforts du serpent déicide,
Il faut au saint amour consacrer la douleur !
Le front d'homme du sphinx parle d'intelligence,
Ses mamelles d'amour, ses ongles de combats ;
Ses ailes sont la foi, le rêve et l'espérance,
Et ses flancs de taureau le travail ici-bas !
Si tu sais travailler, croire, aimer, te défendre,
Si par de vils besoins tu n'es pas enchaîné,
Si ton coeur sait vouloir et ton esprit comprendre,
Roi de Thèbes, salut ! te voilà couronné !
Eliphas Levi
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