La philosophie est-elle de mise aujourd'hui?

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Haïti: Depuis l'année 2002, chaque troisième jeudi du mois de Novembre, À l'initiative de la prestigieuse organisation intellectuelle du système des Nations Unies, l'UNESCO, on célèbre dans le monde entier la philosophie. Dans le cadre de cette journée mondiale, des philosophes de profession, des professeurs de philosophie, des chercheurs, des étudiants, des personnalités d'horizons divers, de langues et de cultures différentes débattent de problématiques variées et honorent la réflexion philosophique en mettant en avant le rôle qu'elle joue dans notre quotidien. Cependant dès sa naissance grecque au VIe siècle av JC et tout au long de sa longue histoire tumultueuse, des voix se sont élevées pour critiquer de façon virulente la philosophie et même de grands philosophes classiques s'y sont largement employés. Des voix se sont élevées pour dénoncer son inutilité, sa complexité, son abstraction, ses contradictions. Vu le réquisitoire accablant présenté a l'encontre de la philosophie, est-elle de mise aujourd'hui ?

A.- Ce qui semble justifier l'opinion que la philosophie n'est pas de mise aujourd'hui.

1.- La philosophie ressasse d'étranges questions dans un langage quasi ésotérique, tout en négligeant les problèmes réels.

Au prime abord, les détracteurs de la philosophie disent qu'elle est un insipide et inutile bavardage sur des sujets stériles dans un langage quasi-ésotérique. Ils l'accusent bien souvent d'être un éternel approfondissement d'une même question à laquelle nulle réponse définitive ne peut être donnée, qu'elle pose plus de questions qu'elle ne fournit de réponses et se remet elle-même en question. Critiquant le vocabulaire jugé obscur, jargonneux de la philosophie, l'humoriste Pierre DESPROGES, écrit « lorsqu'un philosophe me répond, je ne comprends plus ma question ». Pour ses détracteurs, la philosophie est l'art de donner une réponse compliquée aux questions les plus simples, l'art de ressasser d'étranges questions sans réponse en négligeant totalement les problèmes du réel concret.

2.- Les philosophes sont des rêveurs, des idéalistes purs.

Ensuite, les dépréciateurs de la philosophie reprochent aux philosophes d'être des rêveurs, des idéalistes purs, des inadaptés , complètement incapables d'agir dans ce monde, des gens qui ont perdu le sens pratique des choses, qui sont plongés dans leurs pensées abstraites, stériles et désarmantes et très éloignées des exigences quotidiennes de la vie actuelle, entourés de manuscrits poussiéreux et vivant parfois dans une insouciante pauvreté, faisant montre par ainsi, d'un manque de pragmatisme et d'intérêt pour la proximité et l'immédiateté de notre monde .

On raconte que le philosophe et mathématicien grec Thales de Milet, alors qu'il contemplait les étoiles dans le lointain, ne vit pas devant lui l'ouverture d'un puits et y tomba, se faisant ainsi passer en dérision par sa jeune ménagère ignorante Thrace, pour son manque de pragmatisme et d'attachement a la réalité. « Comment comptez-vous comprendre ce qui se passe dans le ciel si vous ne voyez même pas ce qui est à vos pieds » lui dit sa servante.

Diogène de Sinope, dit Diogène le Chien, figure la plus marquante du philosophe rêveur, avait élu domicile dans un tonneau vide à Corinthe. Le Puissant Alexandre, déjà maitre de la Grèce qui l'admirait, s'était rendu auprès de celui-ci pour lui proposer son soutien, il s'entendit répondre : « ôte-toi de mon soleil » parce qu'il lui faisait de l'ombre. Un jour, voyant un enfant qui buvait au creux de sa main, Diogène, philosophe de l'extrême, jette son écuelle superflue, s'exclamant : « cet enfant m'apprend que je conserve encore du superflu ». On le vit se promenant un jour dans les rues d'Athènes muni d'une lanterne éclairée en plein jour. Aux passants interloqués et railleurs qui s'en intriguaient et l'apostrophaient, il répondit : « je cherche un homme ».

Pour les contempteurs de la philosophie, les spéculations métaphysiques détournent les philosophes des exigences concrètes de l'existence. Ils sont inaptes à l'action ; ils apportent à leur famille plus de gloire que de pain parce qu'ils affichent fort souvent un mépris angélique de l'argent; ils n'ont rien à faire dans une société dominée par l'action et l'efficacité.

3.- Le détachement progressif des sciences de la philosophie.

L'autre motif soulevé par les détracteurs de la philosophie pour montrer son inutilité est lié à l'abandon, ou mieux au détachement progressif des disciplines scientifiques du tronc matriciel de la philosophie classique. Les diverses branches du savoir qui ne formaient qu'un tout indistinct au sein de la philosophie se sont soustraites au joug de cette dernière. Pour ses contempteurs, vu que les sciences qui étaient à l' origine des constituantes de la philosophie, (les mathématiques, l'astronomie, la physique, la science politique, la chimie, la biologie, la psychologie, la sociologie) se sont détachées graduellement de la philosophie pour se transformer en des disciplines autonomes, la philosophie perd du terrain au profit de ces disciplines. Elle perd un à un les domaines où elle régnait et ne semble survivre que là où les savants n'ont pas encore découvert de méthodes ou de lois rigoureuses. Elle tend à disparaître, faute d'objet.

4.- On est de nos jours à l'heure de l'intégration des grands marchés économiques.

En outre, l'autre argument avancé par ses détracteurs se résume dans le fait que nous sommes à l'heure de l'intégration des grandes marchés économiques, à l'heure de la libéralisation du commerce postulée par la mondialisation, de l'investissement et de la modernité économique et pourtant, la philosophie durant toute sa longue histoire tumultueuse s'est limitée aux questions théoriques et abstraites sans rapport avec les grandes et brûlantes questions nées des nouvelles réalités contemporaines. Pour eux, les perspectives économiques globales mirifiques du fait des flux d'investissements et les calculs liés à l'existence de grands marchés économiques sont devenus plus porteurs de sens que la philosophie qui n'est qu'une rêverie fantaisiste, une contemplation naïve du réel, qu'elle ne nourrit pas son homme, et ne contribue aucunement à remplir le creux de l'estomac désespérément vide, à garnir des comptes en banque et qu'en définitive, elle ne peut être que nuisible au bon fonctionnement de notre société de consommation immédiate.

5.- Le développement impressionnant de la science et de la technique.

Enfin la tradition récurrente de la contestation de la raison d'être et de l'utilité de la philosophie avance les progrès constants, impressionnants, massifs et multiformes de la techno-science contemporaine. Notre époque scientifique et technicienne n'a que faire de ce vestige archaïque de temps révolu qu'est la philosophie. Pour nombre de ses détracteurs, la techno-science contemporaine nous apporte des réussites palpables et décisives. Elle nous donne le confort, le bien être, par exemple la technologie a usage domestique (aspirateur, machines à laver, fours électriques ou a micro-ondes etc.), et nous libère des besoins les plus élémentaires. La science et les techniques disposent d'une efficacité réelle, elles nous apportent des progrès alors que la philosophie ne nous donne que des conseils de vie qui peuvent sembler dérisoires. La techno science transforme profondément le monde, alors que la philosophie, discipline spéculative ne change pas le monde. C'est l'avènement des autoroutes de l'information, de la nouvelle génération des ordinateurs, de la manipulation sur écran des images de synthèses, c'est l'ère des réalités virtuelles, c'est l'époque de l'extraordinaire rapidité facile des communications entre tous les points du village planétaire. Donc, devant les incroyables innovations et prouesses technologiques, face aux idéaux de confort et de bien-être soutenus par la science et la technique, la philosophie apparaît comme un vestige archaïque de temps révolus, un réservoir d'archaïsmes, une discipline poussiéreuse et passéiste.

B.- Qu'est-ce que la philosophie peut avancer pour sa défense ?

Les arguments avancés par les dépréciateurs de la philosophie pour justifier le refus de philosopher aujourd'hui, pour montrer son inutilité au XXIe, à l'analyse ne tiennent pas, comme il va être démontré ci-après.

1.- La philosophie comme toute discipline s'invente un langage propre.

On lui reproche un certain goût pour les formules ésotériques, pour un vocabulaire d'une complexité décourageante voire déconcertante pour les non-initiés, comme si les autres sciences n'avaient pas, elles aussi, leur vocabulaire propre. Une pensée rigoureuse qu'elle soit ou non scientifique a besoin d'un vocabulaire spécifique. Chaque discipline s'invente un langage propre à décrire la petite partie de la réalité qui est son lot. Comme tous les savoirs, de la menuiserie à l'astrophysique, de la ferronnerie à la spectroscopie, la philosophie a besoin de mots utiles, précieux, qui désignent avec précision les objets de sa réflexion. Son vocabulaire n'est que le fruit d'une construction conceptuelle indispensable pour raisonner clairement et lever les ambiguïtés qui entravent la pensée. Vouloir la philosophie sans termes qui s'écartent du langage courant reviendrait à vouloir les mathématiques sans formule.

On lui reproche également du fait qu'elle est l'art de ressasser d'étranges questions sans réponses et celles-là sont plus importantes que celles-ci. Cependant les dépréciateurs de la philosophie oublient que c'est par ce processus incessant de questionnement que la philosophie continue d'exister et qu'elle se développe. Comme dit le grand écrivain et philosophe français Paul Valery « la façon d'un philosophe, son entrée en danse est bien connue...il esquisse le pas de l'interrogation ». Il faut souligner qu'une question philosophique ne peut être réglée une fois pour toutes, car chaque époque, éventuellement même chaque sujet se trouve confronté aux mêmes questions mais dans des contextes inédits et avec un enjeu toujours neuf. La philosophie suggère en permanence de nouvelles manières d'appréhender des interrogations fondamentales qui sont éternellement actuelles.

2.- Les philosophes s'intéressent aussi aux questions d'ordre pratique.

Les détracteurs de la philosophie disent que la philosophie ne s'intéresse qu'aux grandes et graves interrogations métaphysiques, aux questions eschatologiques, telles l'immortalité de l'âme, l'origine première de l'apparition des êtres, sur leur finalité, sur le bien et le mal. Cet argument ne tient pas debout puisque la réflexion philosophique se porte aussi sur les grandes réalités fondatrices de l'expérience et de la condition humaine , sur les grands problèmes éternellement actuels et pressants de l'existence telles la contingence, la finitude, le désir, la vie sociale, la moralité, le divorce, la guerre, l'avortement, la délinquance juvénile... La philosophie est un puissant moteur de compréhension de la réalité humaine et universelle dans l'ensemble de ses aspects les plus fondamentaux. Loin d'être exclusivement abstraites, certaines grandes et graves questions philosophiques ne se cantonnent pas dans les sphères exclusives de l'idée, elles sont profondément engagées dans l'existence et les inquiétudes qu'elle implique. « Dieu existe-t-il ? Quel est le sens réel de la vie ? Quelle est la raison véritable de notre existence ? L'au-delà existe-t-il ? La foi est-elle irrationnelle ? Sommes-nous les otages du destin ? Notre destinée est-elle écrite quelque part ? L'homme est-il cette espèce condamnée à se construire son propre destin ? Est-il vain de penser a la mort ? Est-il vrai qu'il n'y a pas de hasard ? La chance existe-t-elle ? D'où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? Qu'est-ce que le mal ? D'où vient-il ? Pourquoi est-il partout ? La vie a-t-elle un sens ? Pourquoi les différents étapes de la vie ? Y -a-t-il une vie après la mort ? Sommes-nous le produit d'une évolution aveugle sans le besoin d'un créateur ? L'homme est-il un miracle sans intérêt ? N'est-il pas un éphémère locataire d'une planète perdue dans un canton de l'univers ? ».Toutes ces grandes et graves questions métaphysiques et eschatologiques dont traite la philosophie sont les ingrédients fondamentaux de toute existence. Devant la profondeur de certaines réalités tragiques insurmontables où l'homme fait l'expérience douloureuse de sa finitude, devant les grandes crises de la vie (deuil, perte du goût de la vie ...) devant certaines situations-limites telles les conséquences fonctionnelles et biologiques irréversibles et inexorables de la vieillesse, les cataclysmes naturels dévastateurs tragiques ( les terribles inondations, les terrifiantes tornades, les violents séismes meurtriers, les horribles ouragans cycloniques) , l'homme se sent alors dépassé, fragile, impuissant et les données de la vie quotidienne deviennent problématiques, la vie devient question, le quotidien comme dit Merleau Ponty, est devenu de part en part métaphysique et alors l'homme ne peut pas ne pas philosopher. Devant le triste et désolant spectacle du drame du 12 janvier où partout on entendait des cris, partout on voyait la douleur et le désespoir et l'image de la mort on ne pouvait pas ne pas se poser de graves et grandes interrogations métaphysiques. Ce violent séisme meurtrier constitue une source de grandes et graves questions existentielles, de questionnement philosophique : Pourquoi les secousses telluriques du 12 janvier ont-elles tué des citoyens utiles à la communauté et épargné des crapules qui sont des virus sociaux ? Devant cet Himalaya de cadavres d'êtres chers, quel est le sens réel et la valeur de l'existence humaine ? Le destin n'a-t-il pas pris de nombreuses vies et en a épargné d'autres ? L'homme est-il une espèce fragile jetée par le hasard sur une petite planète perdue dans l'immense univers ? Dieu est-il responsable de ce terrible événement ? Il s'évidente que personne au cours de son existence ne peut échapper à toute préoccupation d'ordre métaphysique. Elle s'impose à tout homme d'une façon incoercible dans l'existence la plus courante. Tout individu en vient un jour ou l'autre a se poser une question de nature métaphysique.

3.- Les philosophes ne sont pas tous des rêveurs.

Même s'il existe certains philosophes qui donnent une image disgracieuse de la philosophie en se présentant comme des fous déplaisants, des « étrangers de la contingence » en s'enfermant dans un idéalisme béat, en manifestant un manque d'attention et d'intérêt pour la proximité et l'immédiateté de notre monde, toutefois on ne peut pas considérer tous les philosophes comme des gens qui s'élèvent seulement et uniquement à la contemplation des idées pures.  Continuer >
 
     
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  On refuse peut-être sciemment de tenir compte que Thales de Milet, le père de la philosophie grecque, par sa curiosité aiguisée et son sens de l'observation, prévoyant une abondante récolte d'olives, il aurait monopolisé les pressoirs pour mieux monnayer leurs services. Les sophistes, au sens noble du terme, étaient des philosophes qui se jetaient dans la mêlée, qui s'immisçaient dans le quotidien des gens, agissaient sur les événements et savaient tirer de gros profits matériels et pécuniaires de leur activité philosophique. Dans la Grèce antique, plusieurs philosophes se sont occupés activement et pratiquement de politique pas seulement dans leurs livres. Pythagore, a fondé un parti aristocratique à Crotone. Socrate, constitue la figure du philosophe modèle par excellence en matière de citoyenneté. Il prend à coeur son rôle de philosophe-citoyen. Sa vie philosophique fut un engagement politique, citoyen. Marc-Aurel a passé le plus clair de son temps martialement vêtu, casque en tête et épée à la main tout en étant pétri de la doctrine philosophique austère qu'est le stoïcisme. Les spéculations métaphysiques ne le rendaient nullement inapte à l'action ni ne le détournait de l'action politique concrète. Il fut un grand empereur-philosophe.

Certains des principes développés par Montesquieu, homme de lettres et philosophe français, dans son maitre-ouvrage, l'Esprit des Lois, véritable somme d'histoire politique comparée, ont inspiré la constitution américaine. Voltaire, l'une des principales figures du siècle des Lumières intervenait publiquement dans toutes les affaires où sévissaient la force de l'injustice et la violence des préjugés. Les idées développées par le philosophe génevois de langue française, Jean Jacques ROUSSEAU, dans son Contrat Social ont exercé une influence décisive sur certains acteurs de cette période de profondes transformations politiques et sociales qu'a connues la France pendant près d'une décennie (1789-1799) .Les idées émises par ce philosophe ont dépassé la seule expérience révolutionnaire pour s'étendre à toute la pensée libérale du XIX siècle. Dans Emile, il propose sa conception de ce que doit être l'éducation d'un futur citoyen capable de s'intégrer dans une société justement organisée. Les philosophes éclaireurs du 18eme siècle, dans la diversité formelle de leurs oeuvres ont proposé de réformer la société, les institutions, les moeurs. Par leurs idées nouvelles révolutionnaires, les philosophes des Lumières sont les ancêtres intellectuels de la grande révolution française de 1789. Le texte fondateur des démocraties occidentales modernes à savoir la Déclaration des droits de l'homme et du Citoyen, rédigé dès le mois d'Août l789 s'inspire à la fois des idées de Rousseau mais aussi de la pensée de Montesquieu.

Le philosophe et révolutionnaire Condorcet a rédigé un projet de réforme de l'instruction publique. Jean Paul Sartre, figure emblématique de l'intellectuel du XXe siècle, fut de tous les combats. Par sa philosophie de l'engagement, il a joué un rôle de premier plan dans les grands débats politiques, philosophiques de son époque. Philosophe qui se veut « engagé », il impose une image d'intellectuel engagé qui a pris fait et cause pour les mouvements anti-impérialistes, pour la décolonisation. Ses engagements politiques en faveur du Mouvement de la Paix après la guerre, contre l'invasion soviétique en Hongrie en l956, contre la politique algérienne du gouvernement français montrent de façon éloquente que certains philosophes se jetaient dans la mêlée.

Karl Marx, économiste-philosophe allemand, faisant sienne la compréhension hégélienne de l'histoire assigna à la philosophie, une mission réformatrice ou révolutionnaire, celle de transformer le monde. « La philosophie classique interprète le monde, mais ce qui importe, c'est de le transformer » a écrit ce théoricien révolutionnaire philosophe allemand. Ce que Marx écrit, ce ne sont pas des oeuvres simplement théoriques, elles sont au service de l'action et du combat. Herbert Marcuse, philosophe américain d'origine allemande a participé à la lutte contre le nazisme qui prônait la purification de la race aryenne et l'élimination des juifs. Le philosophe et logicien britannique Bertrand Russel, porte-parole de la pensée libre ne cessa de lutter contre l'utilisation militaire de l'arme nucléaire et fonda avec Jean Paul SARTRE à Stockholm le tribunal des « crimes de guerre » dont le but était de rechercher si les Américains violaient le droit international au Vietnam.

De nos jours, dans certains pays, on s'adresse volontiers aux philosophes lorsqu'il s'agit de prendre de grandes décisions dans les domaines de la bioéthique, de la politique, de la religion...Dans sa Lettre encyclique sur les rapports entre foi et raison, le Pape Jean Paul II a écrit que « la philosophie est une des tâches les plus nobles de l'humanité ».

Donc, il s'évidente que tous les philosophes n'étaient pas des sages pontifiants qui ont déserté la vie active, pour se perdre dans la spéculation oiseuse. Il est des philosophes qui ne se sont pas détournés des exigences concrètes de l'existence,mais au contraire qui se jetaient dans la mêlée.

4.-Sur le prétendu détachement progressif des sciences de la philosophie.

En ce qui concerne le prétendu abandon de la philosophie par les sciences, il est d'une façon inopportune d'envisager le phénomène sous cet angle. Les sciences, comme on l'a trop souvent laissé croire, n'ont pas véritablement abandonné la philosophie, les unes après les autres. Ces sciences( les mathématiques, la physique, la chimie, la biologie, la psychologie, la sociologie ...) sont tout simplement parvenues progressivement à un degré de maturité qui leur aura permis de voler de leurs propres ailes, de réaliser leur vocation sans trop de servitudes, sans trop de dépendance par rapport à l'Alma Mater de laquelle elles ne sont point libérées. Certaines disciplines considérées comme des anciennes branches de la philosophie devenues autonomes, comportent aussi un volet proprement philosophique. Ainsi on a une philosophie de la physique, une philosophie de la psychologie et d'autres, comme la science politique entretient un dialogue permanent avec la philosophie politique. De même, la biologie, qui a longtemps été entravée par son appartenance à la philosophie avec les grands axes de la réflexion sur le vivant à savoir les thèses finalistes, mécanistes et vitalistes revient par une porte dérobée. En effet, à l'orée du XXIe siècle, le développement des bio-techniques a pour corollaire, l'apparition d'un nouveau champ d'étude philosophique : la bioéthique. Comme le montre Dominique Lecourt, « derrière toute science, existe une philosophie ». Cependant, elle n'est pas toujours complètement explicite, mais elle est toujours présente. Le scientifique ne démontre pas tout scientifiquement mais prend des contenus à la philosophie. Lorsque la science progresse, ce n'est pas seulement d'une révolution scientifique qu'il s'agit, mais aussi d'une révolution philosophique.

5.- Par son caractère pluriel, critique, la réflexion philosophique n'est pas étrangère à la dimension historique de notre temps.

Il est inévitable que la spécificité, les diverses angoisses existentielles d'une époque, marquent profondément la philosophie. La réflexion philosophique dans son caractère fondamental, critique, pluriel, ouvert n'est nullement statique. Donc, elle n'est nullement étrangère à la dimension historique de notre époque marquée par les coûts et risques d'une globalisation sauvage non encore maitrisée, l'existence des grands marchés économiques, la crainte du clonage humain totalement réussi, les problèmes liés à cette conjoncture de la pensée unique etc. La réflexion ouverte et sérieuse est capable de poser les problèmes liés à la globalisation, à la mondialisation qui tend à « transformer la communauté humaine en nouvelle jungle des intérêts concurrentiels contradictoires ». Parce qu'elle est critique, sérieuse, plurielle et ouverte, la réflexion philosophique saura mieux éclairer l'homme contemporain sur les problèmes liés a la mondialisation non encore maîtrisée, sur l'extrême urgence, l'absolue nécessité et le grand et urgent besoin de maitriser les nouvelles réalités contemporaines et dans la perspective de choix plus justes et plus humains.

6.- La science ne détruit pas la philosophie. Au contraire, elle la relance, l'oblige à de nouvelles interrogations.

Enfin, il est sans conteste que la science contemporaine nous a permis de bénéficier d'étonnantes découvertes technologiques; elle a apporté une réponse à un grand nombre de questions qui préoccupaient l'humanité. Les progrès scientifiques nous plongent dans l'émerveillement. Jamais dans l'histoire, l'humanité n'a joui d'autant de confort physique, d'autant d'appareils mécaniques et de commodités ultramodernes. Elle a organisé toutes les fonctions de la vie quotidienne, des plus vitales aux plus ludiques. Elle a donné à l'homme des moyens d'action extraordinaire. On se sent capable grâce à la science ou presque d'accomplir l'impossible. La science contemporaine semble en passe de réaliser le rêve de Descartes de rendre « l'homme comme maitre et possesseur de la nature ». On ne peut pas nier les bienfaits innombrables dont la science nous comble en matière de santé. Les progrès de la médecine contemporaine et la découverte de nouveaux produits pharmaceutiques permettent d'entretenir une survie prolongée, repoussent sans cesse les limites de la mort. Les chirurgiens font des transplantations de coeurs humains et d'autres organes. L'homme a marché sur la Lune, et est revenu sain et sauf sur la Terre ; des sondes spatiales ont atterri sur Mars et transmis des photographies en gros plan du sol martien ; d'autres sondes ont passé près des plus lointaines planètes et nous ont permis d'avoir d'exceptionnelles prises de vues de Jupiter et des anneaux de Saturne .... La techno-science favorise un monde magique, fascinant. Nous vivons maintenant à une époque d'étonnants miracles technologiques ou la vie se poursuit de plus en plus au moyen de boutons automatiques, un monde presse-bouton où le travail est en majeure partie fait par des machines.

Cependant, l'éclat de la puissance effrayante et salvatrice de la techno-science contemporaine ne peut sonner le glas du vif rayonnement de la réflexion philosophique. La philosophie ne recule pas quand la science se développe. Au contraire, la complexité multiforme du potentiel technologique, les progrès scientifiques prodigieux, fantastiques et les découvertes technologiques sensationnelles, impressionnantes font surgir de nouveaux problèmes philosophiques. Ils ouvrent la voie à de profondes méditations, de mûres réflexions pour les philosophes, car les savants qui agissent n'ont pas toujours le temps de comprendre ce qu'ils font, il revient donc à la philosophie d'apporter des éléments de réflexion aux savants. L'excès de puissance meurtrière de tout l'arsenal atomique du « club des pays nucléaires », les effroyables effets d'une explosion atomique ne laissent pas indifférent les philosophes. Ces derniers signalent que les ravages les moins importants d'une guerre nucléaire seraient déjà énormes, désastreux, incalculables.

On constate de nos jours une attitude ambivalente vis-à-vis de la science. Considérée comme vecteur de progrès, elle est devenue de nos jours un facteur d'inquiétude. Cette confiance dévote dans la science et ses vertus fait place de nos jours à un sentiment de crainte. Désormais, plutôt que de rappeler les progrès dus à la science, on met parfois l'accent sur ce qu'on pourrait appeler « les infortunes du progrès scientifique et technologique ». Donc, la science a perdu son innocence, pour répéter Jean Marc Biais.

Quand la science nous donne les moyens et les connaissances techniques pour maitriser les forces de la nature, c'est la philosophie qui nous permet de responsabiliser la société. Comme le souligne Fougeyrollas « jamais le besoin d'un nouvel élan philosophique et les chances d'un nouvel essor de la pensée philosophique n'avaient été aussi grande ». En effet, la science pose elle-même des problèmes à la fois théoriques et pratiques qui nécessitent la réflexion philosophique. Et la connaissance scientifique se révèle insuffisante quand on considère les problèmes moraux et les problèmes métaphysiques. La science peut nous permettre de maitriser techniquement nos conditions de vie, elle ne peut en aucun cas nous dire comment vivre. La philosophie répond à un besoin fondamental auquel ne peut répondre la science, le besoin de trouver un sens à la vie. Elle ne nous dit rien sur le sens de la vie, elle est muette sur l'homme et son destin. Donc, il restera des domaines qui lui resteront inaccessibles en raison de sa nature même et qui resteront l'apanage de la philosophie. La science reste impuissante dans un triple domaine, qui demeure celui de l'interrogation philosophique : tout d'abord, la pensée des essences, car tenter de définir l'essence des sciences et de la connaissance demeure la tache de la philosophie, ensuite, la pensée de ce qui dépasse les limites de la connaissance scientifique et qui pourtant continue a intéresser notre raison sont de l'ordre du suprasensible et c'est toutefois le rôle de la raison pratique que de prendre en charge cette dimension et enfin la pensée des valeurs et des fins car, si l'entendement scientifique a pour objet les phénomènes et leurs rapports constants, il reste muet sur ce qui doit être. Seule la philosophie peut poser des questions relatives aux valeurs.

Donc, la science ne détruit pas la philosophie. Au contraire, elle la relance, l'oblige à de nouvelles interrogations. « La philosophie commence par le désaveu de la science, écrivait Merleau-Ponty, non qu'il ne faille pas faire confiance en la science pour ce qu'elle sait, mais au sens ou nous ne saurions admettre que la science nous dispense de philosopher ou nous fasse croire que nous n'avons plus besoin de la philosophie grâce a elle ». Seule la réflexion philosophique peut permettre d'identifier les principes et les valeurs en cause, seule elle peut faire voir dans quel sens orienter le développement des techniques de façon qu'elles servent l'humanité au lieu de l'assujettir.

Et enfin dire de la science qu'elle vaut mieux que la philosophie, c'est philosopher. On ne peut parler scientifiquement de la science mais seulement philosophiquement. Blaise Pascal écrivait : « se moquer de la philosophie, c'est faire de la philosophie sans le savoir ». Montrer l'inutilité de la philosophie, c'est encore philosopher. Karl JASPERS, dans son Introduction à la Philosophie montrant que l'être humain ne peut se passer de la philosophie disait : « quiconque la rejette affirme par là même une philosophie, sans en avoir connaissance. La philosophie ne se justifie pas, elle se communique ».

Conclusion.- Nous pensons que la philosophie est trop utile pour être banalement utile. Parce qu'elle n'est pas trivialement efficace, on peut être tenté de penser qu'elle est totalement inutile. Même si elle n'est pas toujours parfaite, comme d'ailleurs toute oeuvre humaine, elle demeure une inutilité salutaire, elle présente une complexité éclairante, elle fait montre d'une abstraction bien concrète et offre des contradictions enrichissantes. La philosophie est un spectacle qu'on n'applaudit jamais mais qui tient l'affiche éternellement.
 
  Jean Rozales TRISTANT Junior
rtristant@yahoo.fr
Petit-Goâve. Rue des Vignes

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